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L'homme qui a battu Kasparov sans vraiment savoir jouer aux échecs

Publié par Rob dans Livres · 18/11/2022 11:49:52
Tags: deep_blue

Dans "L'homme qui a battu Kasparov sans vraiment savoir jouer aux échecs", édité par Le Jardin des Livres, Feng-Hsiung Hsu retrace les douze années durant lesquelles il a développé d'abord Chiptest, puis Deep Thought et enfin Deep Blue, le superordinateur d'IBM qui, après bien des péripéties, a fini par avoir raison du champion du monde d'échecs, Garry Kasparov. Un événement majeur des années 90, expliqué par l'un de ses principaux acteurs.



Le 11 mai 1997 pour la première fois un ordinateur s'est montré capable de battre l'un des plus brillants joueurs d'échecs de l'histoire. L'événement, suivi par des millions de gens de par le monde, a eu un retentissement considérable. Les années 80 et 90 sont celles de la généralisation des outils informatiques ; ils quittent  les laboratoires des universités et les grandes firmes pour se répandre partout dans les entreprises, dans les bureaux, dans les familles…  Cette vague s'accompagne de la peur diffuse du dépassement, de voir l'homme concurrencé par les machines. Et c'est pourquoi sans doute la victoire de Deep Blue, le super-ordinateur d'IBM, sur le champion du monde en titre, Garry Kasparov, a tant marqué les esprits.

Cette crainte n'était pourtant qu'un fantasme. 25 ans plus tard, votre ordinateur portable équipé d'un moteur d'échecs moderne tel que Stockfish battrait Kasparov sans aucune difficulté. Nul besoin d'un ordinateur à plusieurs millions de dollars. Pourtant, cela n'a pas changé le rapport entre l'homme et la machine. Mais au milieu des années 80, c'était différent.
C'est  autour des échecs que s'est cristallisé dans l'opinion publique l'idée d'un affrontement entre l'esprit humain et les ordinateurs. Dans ce domaine, les humains résistaient encore ; mais pour une génération entière d'informaticiens, c'était aussi une sorte de Saint Graal, un Everest à gravir. Les conditions étaient en place pour un match épique.

C'est bien ce qu'il faut comprendre de ce livre : ce n'était pas un combat entre un homme et un ordinateur mais une lutte de 12 ans entre une équipe d'êtres humains concepteurs et une autre équipe d'êtres humains, joueurs d'échecs ceux-là. L'auteur, Feng-Hsiung Hsu, est l'un des acteurs majeurs de l'événement. Cet étudiant chinois (de Taïwan) venu faire ses études d'ingénieur à l'université américaine de Carnegie Mellon, y raconte comment une série de concours de circonstance et de rencontres l'ont poussé à développer une puce spécialisée pour jouer à ce jeu - dont pourtant il ignorait presque tout. Sans budget, avec les seules commodités de l'université et beaucoup de travail sur temps libre, la petite équipe autour de Feng-Hsiung Hsu a créé Chiptest, l'ancêtre de Deep Blue, en 1985. La machine était déjà capable d'évaluer un demi-million de coups à la seconde, grâce à une puce VLSI conçue par Feng-Hsiung Hsu lui-même. Cette puissance de calcul bien supérieure aux capacités humaines était capable de donner du fil à retordre à la plupart des joueurs mais pas encore de vaincre les meilleurs humains. Deep Thought, une version plus rapide de Chiptest (750.000 coups à la seconde), obtiendra officiellement le niveau "Grand maître" mais fera pâle figure face à Kasparov en 1989.



La fine équipe de développement de Chiptest et Deep Thought, recevant ici le prix Fredkin pour les performances de niveau "grand maître" de Deep Thought : autour de Feng-Hsiung Hsu, de gauche à droite, Murray Campbell, Thomas Anantharaman, Mike Browne et Andreas Nowatzyk (photo Computer History Museum).

Néanmoins, les résultats de ChipTest puis de Deep Thought ont attiré l'attention d'IBM - qui a vite compris le parti que la firme pourrait tirer, en termes d'image, de la mise au point d'une machine capable de défier le champion du monde. Big Blue, comme on surnommait IBM aux Etats Unis,  a donné les moyens à Feng-Hsiung Hsu de créer Deep Blue, un superordinateur de 32 cœurs à architecture massivement parallèle, transformé en machine d'échecs grâce à plusieurs centaines de puces spécialisées. Le monstre était capable d'évaluer 200 millions de positions par seconde - 400 fois la puissance brute de Chiptest. Mais cette croissance vertigineuse de la capacité de calcul n'aurait pas été suffisante si les concepteurs de Deep Blue n'avaient réussi à convertir la quantité en qualité. Lors du premier match de Deep Blue contre le champion du monde, en février 1996, il s'est avéré que si l'ordinateur était plus fort, tactiquement, Kasparov était nettement meilleur, positionnellement, et c'est ce qui faisait la différence. Pour gagner, il a fallu apprendre à la machine à mieux jouer aux échecs. Le plus gros du travail de l'équipe Deep Blue dans les 15 mois qui ont suivi le premier match a consisté à faire ingurgiter des connaissances à l'ordinateur afin d'améliorer la qualité de l'évaluation.  

L'aventure, qui s'étale sur une douzaine d'années, est passionnante. Elle est faite autant de succès, de coups de chance et de coïncidences heureuses  que d'errements, contretemps, malchances et défaites humiliantes. On comprend qu'elle aurait pu tout aussi bien échouer. Cependant, le répit de Kasparov n'aurait été au mieux que de quelques années. Tôt ou tard, il aurait été battu.

Ce livre est à ma connaissance la première édition en France de "Behind Deep Blue, building the computer that defeted the world chess champion", publiée aux Etats-Unis en 2002. Pour ceux qui s'intéressent aux échecs informatiques, c'est un document majeur. Si l'on connaît bien le nom de Deep Blue et si nous avons tous entendu parler des réactions peu sportives de Kasparov - qui s'est révélé être un très mauvais perdant - on ne trouve sur Internet que peu de détails techniques utiles sur Chiptest, Deep Thought et Deep Blue. Le livre vous apprendra beaucoup - et même peut-être parfois plus que vous n'auriez voulu - et de la source la plus fiable qui soit. Personnellement, j'ai été très étonné de certains choix techniques opérés. Par exemple, le plus gros des process était logé dans des puces, plutôt que dans des logiciels. Autre surprise : Chiptest était doté d'un générateur de mouvements "force brute", c'est-à-dire dépourvu de tout procédé d'élagage de l'arbre de recherche. La raison en était simple : Feng-Hsiung Hsu était persuadée que l'élagage ferait perdre plus de temps aux processeurs qu'il n'en ferait gagner. Cette décision à d'ailleurs provoqué une petite crise au sein de l'université ; l'une des nombreuses péripéties racontées pas l'auteur…


Ci-dessus, l'édition américaine...


Un petit cadeau d'Echecs & Informatique : une collection de parties dont la plupart de celles qui sont évoquées dans le livre. Soit :

Une douzaine de parties de Chiptest

84 parties de Deep Thought I et II
contre nombre de grands maîtres humains (Karpov, Byrne, Kasparov, Larsen, Bronstein et d'autres moins connus), contre des machines dédiées (Cray Blitz, Belle, Hitech, Bebe, Phoenix...) et quelques-uns des meilleurs moteurs commerciaux de l'époque (Star Socrates, M Chess Pro, Mephisto, W Chess, Zarkov, Rebel...)

33 Parties de Deep Blue, dont les six parties de la rencontre de Philadelphie en 1996 et les six de celle de New York, en 1997.  

Ces parties sont au format PGN, lisibles avec toutes les interfaces d'échecs, gratuites ou commerciales, et par beaucoup de logiciels d'échecs.

A lire également l'article de Chess.com, "Kasparov - Deep Blue : le match qui a changé le cours de l'histoire". Vous y trouverez les six parties de Philadelphie et les six de New York, très bien commentées.

Rob Robinson




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